Le projet de loi 21 et ses problèmes

Le projet de loi 21 et ses problèmes

Par Ricardo Fortuné – Coordonnateur au Québec et représentant pour Toujours Prêts (Faith Beyond Belief)

La « laïcité », à proprement parler, c’est tout simplement l’idéologie qui prône la neutralité religieuse de l’État. Le terme « secularism » qui est souvent employé pour le traduire en anglais, n’incarne pas l’essence de ce qui est exprimé en français. En principe, elle est basée sur la neutralité religieuse la séparation l’Église et de l’État, le respect des droits et libertés religieuses de tous et chacun et l’égalité de traitement des citoyens (Milot, 2008, pp. 17-21). Mais dans les faits, cette laïcité s’est exprimée par la sécularisation des institutions gouvernementales et l’émancipation de la mainmise que l’Église catholique exerçait sur eux. Initialement, ces mesures semblaient avoir réglé la question religieuse au Québec, mais la crise des accommodements raisonnables de 2007 a incité la population à se questionner sur l’étendue des moyens qu’un gouvernement laïque devrait prendre pour accommoder les gens de diverses religions.


Jusqu’alors, la définition de la laïcité ne s’appliquait qu’aux institutions publiques. Cependant, le projet de loi 21 du Premier Ministre Legault qui a été déposé le 28 mars dernier, étire cette définition de la laïcité de l’État afin qu’elle puisse s'étendre au code vestimentaire de ses fonctionnaires, ne visant plus ainsi uniquement la structure gouvernementale, mais aussi les individus qui la composent. Cette loi, qui doit être votée cet été, viserait à affirmer la laïcité de l’État et à interdire aux employés de l’État en position d’autorité, de porter des signes religieux ostentatoires. Certains voient en cette loi, la finalité du processus de laïcisation du Québec et son aboutissement logique (Beaudoin, 2019). Mais pour beaucoup (OIRD, 2019), il s’agit d’une ruse que le gouvernement emploie pour masquer sa xénophobie et son intolérance envers la religion. Cette polarisation a lieu parce jusqu’à présent le gouvernement n’a pas fait beaucoup d’efforts pour modérer le débat et a fermé la porte à tout dialogue sur ce sujet tandis que beaucoup de questions restent sans réponse. Se contentant du fait qu’il aurait l’appui de 65% de la population, M. Legault semble mépriser la grogne de cette minorité insatisfaite de son projet de loi. Aurait-il oublié qu’il est le premier ministre de 100% des Québécois et non seulement du deux tiers d’entre eux. Un État impartial se doit de veiller au respect des droits et libertés de tous, et non seulement de la majorité (Milot, 2008, p. 20). Il est d’autant plus navrant de constater qu’il n’y aurait que ceux qui sont sympathiques au projet de loi 21 qui ont été invités à le commenter. Aucun chrétiens ou autres groupes religieux importants ne participera aux discussions (Gloutnay, 2019).

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Le projet de loi ne présente pas de solution explicite pour résoudre le problème d’accommodements raisonnables en dehors de la sphère publique, tandis que c’est celui-ci qui a initié toute cette discussion. Comment ce projet de loi va-t-il empêcher un élève de confession musulmane de demander d’être exempter d’examens lors du ramadan ou un étudiant sikh de porter le kirpan? Auront-ils encore le droit de recevoir des accommodements raisonnables, puisqu’ils ne sont pas des employés de l’État en position d’autorité? Le fait que cette question soit sans réponse précise semble suggérer que ces accommodements raisonnables n’étaient peut-être pas un problème aussi important que les médias l’ont dépeint. Il indique aussi fortement que le gouvernement avait d’autres motifs pour entreprendre un projet de loi aussi radical.

Pourquoi la laïcité de l’état devrait se traduire par le retrait des signes religieux des employés de l’État? Le projet de loi 21 ne répond pas à cette question qui est pourtant cruciale. Il incombe au gouvernement de la CAQ de démontrer que ces signes religieux sont un problème pour la neutralité de l’État, comme le soulevait également Sol Zanetti, porte-parole de Québec solidaire en matière de laïcité (Plante, 2019) . Il a été affirmé par ‘Les Intellectuels pour la laïcité’ (2010) que « La neutralité de l'État s'exprime par la neutralité de l'image donnée par ses représentants et ses agents… ». Sans fournir d’argumentaire pour légitimer cette assertion, elle semble avoir simplement été prise pour acquise par un grand nombre de journalistes et d’intellectuels. Cette assertion est tout simplement fallacieuse. Du fait que l’État soit neutre, ne s’ensuit pas que l’image de chacun de ses représentants doit être neutre. Il s’ensuivrait plutôt que les actions de l’État ne peuvent pas être motivés par des motifs religieux.

Dans une démocratie, c’est à l’État de refléter l’image de la population, et non l’inverse.

Dans une démocratie, c’est à l’État de refléter l’image de la population, et non l’inverse. Les élus et fonctionnaires sont issus de la population et sont au service de celle-ci. Ainsi, s’il y a diversité de positions religieuses ou non-religieuses, de genres et d’ethnicités, au sein de la population, il s’ensuivrait que dans un État neutre, cette même diversité soit présente au sein des employés qui composent l’État. La CAQ, qui comprend très bien ce principe, c’est efforcé d’avoir un gouvernement paritaire à ses débuts, faisant ainsi écho à ce principe de représentation équitable.

En mettant des restrictions sur l’apparence vestimentaire de ses employés, l’État perd sa neutralité. Il se fait juge de ce qui est une expression légitime de la religion sans fournir un argumentaire pour justifier sa position. De plus, qui peut objectivement définir ce qu’est une apparence neutre? Une femme non voilée affiche-t-elle une apparence neutre ou antireligieuse? La réponse sera différente si on l’aborde d’une perspective nord-américaine ou iranienne. La vraie neutralité dont parle la laïcité, vise à ne pas favoriser ni gêner une position plutôt qu’une autre (Milot, 2008, p. 19) et la séparation de l’Église et de l’État ne veut pas exclusivement dire que la religion ne doit pas s’ingérer dans la politique. Au sens historique, elle a toujours voulu dire que la politique ne doit pas s’ingérer dans les affaires religieuses.

L’énoncé du rassemblement pour la laïcité et le projet de loi 21, omettent tous les deux l’aspect de ne pas gêner la religion dans leur conception de la laïcité. Ils semblent vouloir dire qu’aucune religion n’est favorisée puisqu’elles sont toutes punies de manière égale. Être pour la laïcité, a toujours voulu dire être tolérant envers toutes les religions. Mais le projet de loi 21 semble être intolérant envers toutes.

…aucune religion n’est favorisée puisqu’elles sont toutes punies de manière égale

L’aspect le plus controversé de cette loi, c’est qu’elle enfreint clairement la chartes des droits et libertés canadiennes et la charte des droits et libertés de la personne. Le gouvernement Legault est au courant de ce problème puisqu’il prévoit modifier la seconde dans son projet de loi et invoquer la clause dérogatoire pour imposer celui-ci. Cela lui permettrait de faire passer la loi sans qu’elle puisse être contestée devant les tribunaux pendant au moins cinq ans. L’emploie de cette manœuvre politique indigne bien des Québécois qui y voient un manque d’égard de la CAQ pour la démocratie. Ce moyen qui semble extrême, mais à tout le moins légal, n’est généralement pas employé comme une carte blanche pour faire passer des lois que l’on sait à la base être anticonstitutionnel. La CAQ lance ainsi le message qu’il n’entend pas débattre de cette question, ni prêter l’oreille aux détracteurs de son projet de loi.

Le but de la laïcité est de favoriser la cohésion sociale dans une société multiculturelle, afin que chacun puisse y vivre leur liberté religieuse et de conscience en étant traité de manière équitable. « En ne favorisant aucune religion et en protégeant la liberté de conscience, l’État laïque se trouve à garantir le pluralisme religieux et sociétal. » (Les Intellectuels pour la laïcité , 2010). L’ironie de ce projet de loi, c’est qu’au nom de la liberté religieuse il brime la liberté religieuse. Au nom de la liberté de conscience, il brime la liberté de conscience. Au nom de l’égalité, il crée une inégalité. Due à ces incohérences internes, le projet de loi 21 est invalidé et devrait être abrogé.

Bibliographie

Beaudoin, L. (2019, Avril 08). Laïcité et progressisme. Le Devoirhttps://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/551662/laicite-et-progressisme.

Bombardier, D. (2019, Février 27). Balado: À haute voix. Les Québecois et la religion, première partie. Qub radio.

Gloutnay, F. (2019, Avril 24). Laïcité: aucun groupe religieux invité en commission parlementaire. Présence, information religieusehttp://presence-info.ca/article/politique/laicite-aucun-groupe-religieux-invite-en-commission-parlementaire?fbclid=IwAR3v1ymk-NLjfU6d5kYX7IGEH34_i1xUlT6ZbuBBUQmj9e84mJMQzJHF4mA.

Les Intellectuels pour la laïcité . (2010). Énoncé du Rassemblement pour la laïcité.

Milot, M. (2008). La laïcité. Novalis.

OIRD. (2019). Laïcité: 250 universitaires contre le projet de loi 21. Le Devoirhttps://www.ledevoir.com/opinion/idees/551547/laicite-250-universitaires-contre-le-projet-de-loi-21.

Plante, C. (2019, Avril 15). Laïcité: la CAQ doit démontrer que le port de signes religieux pose problème, selon QS. Le Devoirhttps://www.ledevoir.com/politique/quebec/552215/laicite-la-caq-doit-demontrer-qu-il-y-a-un-probleme-selon-qs.